Recherche Circonstances & Causes Incendie, l’archéologie moderne

Ingénierie, conseil et prévention

En 2019, près de 70 000 expertises incendie ont été traitées, un chiffre  ahurissant où l’intervention d’un sapiteur incendie en soutien de l’expertise. 

Un incendie n’est jamais un sinistre ordinaire. D’ampleur ou non, il laisse des traces indéniables, aussi bien sur le plan matériel que psychique pour le tiers sinistré. En milieu industriel, un incendie peut pénaliser toute une entreprise. A terme, c’est une activité à l’arrêt et des milliers voire des millions d’euros de pertes. En l’espace d’un an, on estime à plus de 70 000 expertises incendie au sein du groupe Stelliant. Un chiffre de dossiers ahurissant où, dans de nombreux cas la technicité nécessaire à la recherche de cause impose l’intervention d’un sapiteur incendie en soutien de l’expertise. 

Son métier ? Convoquer pluralité de disciplines et de modèles physiques, chimiques et mathématiques pour établir une cartographie des faits. Quel élément est à l’origine de la combustion ? Comment les gaz se sont-ils évacués ? A quelle vitesse les fumées se sont-elles déplacées ? Autant de questions aux réponses indispensables pour comprendre les origines d’un incendie. Au carrefour entre analyses techniques, scientifiques et juridiques, tour d’horizon du rôle de sapiteur incendie.  

Pour le bien commun

Outre la mise à disposition d’un appui technique au profit du mandant, la recherche des causes et circonstances d’incendie (RCCI) se nourrit, de l’information recueillie au fil des dossiers traités et du volume d’expertises.  Une fois mise en corrélation, cette agrégation de données, à destination de l’assureur, permet de dégager des tendances quant à la sinistralité de tel ou tel équipement. Cette mise en lumière des anomalies aide aussi bien les entreprises que les compagnies d’assurance. D’un côté, le fabricant anticipe le sinistre sériel. De l’autre, l’assureur adapte son offre.

Des exemples, il en existe beaucoup mais prenons-en un assez récent. De nos jours, les batteries et autres piles en lithium connaissent un usage démesuré dans notre quotidien. Initialement réservées aux avions, celles-ci sont désormais présentes dans nos ordinateurs portables, nos smartphones, nos tablettes ou encore nos vélos électriques. Sauf que la démocratisation de ces batteries a considérablement fait chuter leur qualité de production. Celles-ci sont désormais source d’ignition dans de nombreux cas, notamment au moment de la charge. Ces défauts de conception ou d’usage ne sont pas nouveaux pour les sapiteurs incendie. Le sapiteur est un lanceur d’alerte dans une démarche d’amélioration continue. Là où la réglementation peine à évoluer, il s’évertue à mettre en place des moyens de préservation du risque par le conseil et l’anticipation.

Pour faire évoluer la discipline, la RCCI a besoin d’accentuer les échanges d’informations entre les différents spécialistes du secteur. Aucun type d’incendie ne peut être occulté. Chacun d’entre eux représente un intérêt particulier pour la recherche de cause. Un sinistre d’ordre mineur implique moins de destruction et les causes sont plus faciles à déterminer. Pourtant, ces derniers contribuent majoritairement à alimenter leur base de données. Dans ces cas précis, le sapiteur incendie intervient de manière ponctuelle dès réception d’un appel de la part de l’assureur ou d’un expert ayant besoin d’un avis technique. Pour les incendies à forts enjeux, la compagnie d’assurance missionne directement un spécialiste en recherche de causes afin de vérifier que toutes les réglementations ont été respectées. Tout le monde trouve son compte. Fabricant, assureurs, assurés, tous bénéficient, par l’intermédiaire du sapiteur incendie, de cette base de données. Comprendre et assimiler les sources, l’environnement et les conséquences de l’ignition, c’est endiguer certains risques à l’avenir.

Comprendre les origines

Tel est son métier, comprendre les origines pour étayer un scénario et ainsi restituer la chronologie des  faits. Les réponses ne se trouvent pas en quelques minutes. Sur la base d’un terrain vierge, sa méthode repose sur la collecte d’éléments au fur et à mesure. Il est primordial d’intervenir dans les trois, quatre jours après la survenance du sinistre. Malgré cela, les spécialistes en  RCCI se heurtent, dès leur arrivée, à un problème de poids : la contamination des lieux. Cela représente l’essentiel des difficultés rencontrées pendant les investigations. Des zones nettoyées, décapées dans certains cas, des pièces vidées de toutes traces, autant d’obstacles qu’il est impossible de contourner. Pour faire simple, plus une scène de sinistre est modifiée, plus il est difficile d’identifier le point de départ de l’incendie. Cependant, ces complexités ne sont pas des fins en soi. Le sapiteur incendie dispose d’un large éventail de compétences et d’outils pour mener à bien son expertise.

Au risque de tomber dans la métaphore, faire de la RCCI s’apparente à lire un livre dans plusieurs langues. De la physique à la chimie en passant par les mathématiques, les disciplines convoquées sont nombreuses. Comment l’électricité se transforme-t-elle en feu ? Comment réagissent le bois ou les structures métalliques face aux flammes ? Quelles sont les variations de couleurs des matériaux durant un incendie ? Comment le plâtre va-t-il s’abîmer ? etc.  Autant de questions pour lesquelles le sapiteur incendie quadrille la zone avant de creuser, strate par strate, à la manière d’un archéologue. La chronologie s’établit à la lueur des débris collectés et des différentes couches de dégradation, plus couramment appelées stratification. A ce jeu, les outils apportent une réelle plus-value dans la compréhension de l’ignition. Rayon X, modélisation 3D, captation numérique, reconstitution de feu réel en cellule, autant de moyens à la disposition du sapiteur pour mieux appréhender un incendie et sa nature.

Et force est de constater que ces derniers sont souvent de nature électrique, en l’occurrence des appareils branchés à l’électricité. Même si beaucoup de contrôles qualité sont effectués sur les stations électriques en entreprise, ceci n’est pas forcément visible chez les particuliers. Les causes d’incendie les plus répandues sont donc d’ordre technologique, ménager mais également mécanique. Mais, cela ne masque en rien l’origine souvent humaine du sinistre. Imaginons que l’élément générateur de l’incendie soit un lave-linge. Celui-ci est électrique donc l’origine est électrique. Cependant, après recherche de causes, il s’avère qu’un serrage de bornier n’a pas été correctement effectué. Il s’agit d’un défaut de conception dont la responsabilité est humaine, bien qu’accidentelle. A l’inverse, d’autres affaires d’incendies sont volontaires, notamment en entreprise. De la concurrence à la malveillance peuvent naître des actes criminels. De l’endettement peut émerger une tentative de fraude à l’assurance. Des malversations que l’assureur souhaite éclaircir vis-à-vis de son mandant, à la lumière des observations émises dans le rapport du sapiteur incendie, parfois épaulé par des enquêteurs. Le dossier prend alors un tournant juridique, au civil comme au pénal.

Sapiteur incendie, une position neutre 

Avant d’investir les cours des tribunaux, nombre d’affaires souhaitent se régler à l’amiable. Une procédure pendant laquelle le sapiteur incendie endosse la tenue d’arbitre. Prenons un exemple. Deux partis ou plus s’accordent pour confier le dossier à un cabinet d’expertise, le sapiteur incendie se substitue dès lors à l’expert judiciaire. Objectif et impartial, celui-ci déploie les moyens mis à sa disposition pour gagner du temps et agir avec rapidité. L’arbitrage est donc une solution à moindre coût, plus rapide. De quoi satisfaire les clients.

A l’inverse, lorsque s’active le sablier judiciaire, l’objectif de l’assureur est de lancer un recours en responsabilité civile, en faveur de son client. En cas de dédommagement, il connait les réglementations et les mesures à prendre suivant le rapport du sapiteur. Ses critères évoluent donc en fonction de la sinistralité et du risque. Bien qu’émetteur du rapport public utilisé durant l’instruction du dossier, le sapiteur n’est jamais à l’initiative d’un recours. Il reste un investigateur. La neutralité est de mise. En tant que sapiteur, il intervient de manière extérieure en apportant un ensemble de compétences techniques propres à la recherche de causes. L’ensemble des observations du sapiteur s’appuie sur des constats factuels et non des interprétations subjectives.  Pourtant, il n’est pas rare qu’un sapiteur incendie intervienne en soutien d’un expert. Dans le cas d’une expertise contradictoire, le sapiteur alimente le dossier en informations par l’intermédiaire de photos, de scans 3D ou encore de retransmission d’expérience en direct du laboratoire. Une fois sur le terrain judiciaire, la RCCI n’est plus simplement question de causes et circonstances d’incendie. Certaines affaires s’étalent sur plus de dix ans, voire quinze dans certains cas. Plus les sommes sont importantes, plus le sablier judiciaire peine à s’écouler.

Avec plus de 60 à 80 affaires par an, les sapiteurs incendie ne sont pas au crépuscule de leur métier mais en perpétuelle évolution. Au croisement entre de nombreuses disciplines scientifiques et ses relations interprofessionnelles, ce spécialiste dispose d’outils et de compétences adaptés à la recherche de causes, à distance ou sur le terrain. Là où certains ne voient que du feu, il essaie d’apporter une vision analytique et technique pour coller à la chronologie des faits.  A l’instar de l’archéologue, il formule des hypothèses crédibles et valables sans pour autant disposer de certitudes. Quelle que soit la question, il essaye d’apporter des réponses les plus objectives à ses clients.

Christian OUERTAL, Directeur RCCI chez INQUEST

Julien DAPREMONT, Expert Incendie chez INQUEST